La Grand'route
L’immense réseau routier de l’empire romain comptabilisa jusqu’à 150 000 km de voies (dont 15 000 km sur le territoire français), à travers toute l’Europe mais aussi l’Asie et l’Afrique du nord. Rome communiquait ainsi avec le reste du monde par un réseau en étoile de 29 axes principaux, à l’origine du fameux dicton : « tous les chemins mènent à Rome ».
Ce réseau routier unique en son genre contribua grandement à l’accroissement des échanges commerciaux mais aussi au déplacement rapide des armées.[i]
Près de nous, Grenoble (Cularo) est un carrefour significatif sur la grande voie romaine reliant Vienne à l’Italie par le mont Genèvre. C’est aussi le point de départ d’une autre voie importante : celle de la rive droite de l’Isère qui, reliant Grenoble à Chambéry (Lemencum), traverse le territoire de Saint-Nazaire dès le IIIe siècle. On peut faire l’hypothèse que cette voie suivait approximativement l’actuelle RD1090 mais les données historiques et archéologiques étant manquantes, cet itinéraire n’est donc pas certain. Après l’effondrement de l’empire romain, ces voies ne sont plus régulièrement entretenues.
A la fin du Moyen Âge, le Dauphiné est alors dépourvu de véritables voies de communication. Au XVe siècle, les deux « routes » de la vallée du Grésivaudan ne reçoivent aucun véhicule à roues, le trafic par char ou charrette venant de Vienne ou de Lyon ne remonte pas au-delà de Grenoble. Il n’y a aucune mention de char dans les comptes des péages de l’époque. La route n’est donc praticable que par des animaux de bât, ânes ou mulets, les chevaux portant cavalier ou charge ainsi que les « hommes porteurs ». Charles VIII, en 1494, lors de son expédition en Italie doit « abandonner ses charrettes à Grenoble ».
Fin XVIIe, la « route » est enfin ouverte aux véhicules. L’Intendant du Dauphiné Bouchu dans son mémoire de 1698 note que sur « le chemin de Grenoble à Chambéry par Les Eymes, Crolles, Barraux et Chapareillan d’où l’on rentre en Savoie, les carrosses et les chariots passent commodément ». Mais dix ans plus tard, cette voie royale, constamment endommagée par les crues des torrents (le Manival principalement) et les passages des troupes, est dans un état déplorable. Des considérations militaires plus qu’économiques poussent alors l’Etat à engager de gros travaux. L’entretien des routes est un problème récurrent. Un nouveau grand projet de restauration est étudié en 1734. Dans le devis, il est prévu que les communautés villageoises fourniront les hommes et les voitures nécessaires, c’est le temps des « corvées ». Les archives de l’entretien de notre route royale en 1760 détaillent la confection des bornes de corvées : « il faudra tirer, voiturer, tailler et planter des limites dans les meilleurs et les plus beaux blocs de carrière de Sassenage (…) sur la face avant sera gravé le nom de la communauté et la longueur qui fixera sa tâche ».
Ces archives précisent aussi les travaux incombant aux différentes communautés : « … Clèmes sera chargé du-dit entretien entre Saint-Ismier et Les Maréchales (à Bernin) depuis le n° 14 jusqu’au n° 15 y compris la traversée des Aimes » sur une longueur de 600 toises (environ 1150m). La répartition des travaux entre les différentes communautés a varié au cours du XVIIIe siècle. Les 277 toises mentionnées sur notre borne n° 14 permettent de la dater des années 1780, soit vers la fin du temps des corvées des chemins royaux.
Un autre type de corvée pour la confection et l’entretien des chemins vicinaux a perduré de 1836 à 1938 sous forme de « prestations » : travaux en nature dus par tous mais qui pouvaient être rachetés.
Le hameau des Eymes
L’ancien hameau des Eymes s’étire le long de la grande voie qui reliait Grenoble à la Savoie sur la rive droite de l’Isère. Depuis 1950, le nom des Eymes est associé à celui de Saint-Nazaire pour aider, au niveau postal et administratif, à la distinction des différents Saint-Nazaire de France.
AYMIAS est la plus ancienne forme écrite rencontrée. Il s’agit du nom d’un des hameaux de la paroisse de Saint-Ismier figurant dans l’enquête de 1339 sur le Dauphiné. Le Dauphin Humbert II songe alors à céder ses états au Pape Benoit XII. Pour en déterminer la valeur, un inventaire détaillé en est dressé où figure pour chaque châtellenie la liste des paroisses avec leurs hameaux. C’est dans ce document rédigé en bas latin qu’on lit « Aymias ».
Quant à l’origine et au sens du mot « Eymes », on pourrait les faire remonter à l’ancien germanique « haim » qui signifie « maison, lieu où l’on vit », mot qui a donné aussi le français « hameau ». Le nom « Les Eymes » serait ainsi le continuateur d’un terme germanique au sens de « Les maisons ». Dans le Grésivaudan, qui a connu l’occupation des Burgondes, ceci semble une explication plausible.
Sur le plan cadastral de 1810, on remarque que le cœur du hameau se situe en bordure de route devant l’actuel n°671 où se trouve alors la « place publique ».
Extraits cadastre de 1810 du hameau des « Zaimes »
C’est là que se tenaient les assemblées de la communauté de Clèmes jusqu’à la Révolution, à proximité des anciens fours et puits communs. En 1771, le terrain du four est désaffecté mais le puits commun conservé. Ce dernier est complété vers 1855 par un grand bassin-lavoir couvert partagé en deux parties : l’une pour le linge, l’autre pour abreuver le bétail. Son toit, écroulé en 1949, ne sera pas reconstruit. Cette place des Eymes a, pendant de nombreuses années, accueilli devant la « fontaine publique », un des alambics itinérants sur la commune.
Lorsque l’éclairage public électrique arrive à Saint-Nazaire en 1897 (quelques années avant Grenoble), deux ampoules sont installées aux Eymes, l’une près du « lavoir » et l’autre au carrefour de l’actuelle RD1090 et de la route de Saint Pancrasse.
Le hameau des Eymes fut souvent mieux connu des « voyageurs » que le village de Saint Nazaire lui-même, situé bien au-dessous de la Grand’route, autour de l’église et de l’ancien prieuré. Ce lieu de passage et parfois d’étape a connu un certain dynamisme jusque dans les années 1950 grâce aux différents cafés et auberges qui accueillaient les voyageurs.
En 1693, pas moins de cinq particuliers payent une taxe de 5 livres car ils « tiennent cabaret, hostellerie, auberge, chambres garnies ou donnent à manger ou vendent du vin », alors qu’ils ne sont que deux à Saint-Ismier, aucun à Bernin et quatre à Crolles.
Sur la Grand’route, le café le plus connu, celui de la famille Rey-Pirolle (au n°644 actuel), permet d’évoquer le quotidien de nos anciens. De nombreux voyageurs et Saint-Nazairois ont fréquenté ce café comme en témoignent encore une série d’anneaux scellés dans le muret côté route où ils pouvaient attacher leur monture.
C’est un centre de vie pour les Eymes et pour le village jusqu’en 1955. C’est là que tous prennent les billets pour les cars VFD qui desservent la vallée. C’est aussi là qu’on achète tabac et cigarettes depuis 1927. Comme déjà cité sur le panneau du « parcours patrimoine » relatif au hameau des Eymes, on peut également s’y faire raser, couper les cheveux ou faire cuire son pain.
Par ailleurs, avant la création d’une salle municipale, le café Rey-Pirolle accueille dans la « salle de bal » attenante, les diverses manifestations du village. Pendant la Grande Guerre, toutes les festivités sont suspendues mais dès la fin 1918, sont achetés un phonographe et un piano mécanique qui animeront de nombreux bals du samedi.
Le café est également le lieu des banquets villageois, à l’occasion de la commémoration du 11 novembre, de la vogue de la Saint-Jean, de la fête de la Saint-Agathe réservée aux femmes mais aussi la salle des spectacles donnés par les enfants lors de la fête des écoles … et puis tous les dimanches, il y a concours de boules au « clos » Rey-Pirolle.
Sources bibliographiques
Groupe Patrimoine de Saint-Nazaire :
Archives municipales de Saint-Nazaire-les-Eymes
[i] www.eric-tasset.com – Les voies romaines en Isère